Penmarc'h (29)

La construction du phare d’Eckmühl

 

La loi du 3 avril 1882 sanctionnait le programme d'électrification des grands feux d'atterrissage des côtes de France proposé par l'ingénieur du Services des Phares, Emile Allard. Cette loi admettait la création de 46 phares électriques distribués uniformément sur notre littoral dont celui de Penmarc'h construit en 1835. Le programme de conversion connut un sérieux coup d'arrêt en 1886 et l'on décida alors d'ajourner la majeure partie des travaux prévus pour se contenter d'établir de nouveaux feux sur les tours essentielles pour la navigation et, parmi ces dernières, la vieille tour de Penmarc'h fut retenue. Les nouvelles dispositions prescrivaient d'établir les appareils plus puissants sur un plan focal élevé à plus de 60 mètres au dessus des plus hautes mers pour bénéficier de toute l'intensité lumineuse alors que l'édifice existant, ne mesurant que 40 mètres de hauteur, devait subir une surélévation d'une vingtaine de mètres. L'ingénieur ordinaire chargé des études conclut à l'impossibilité technique de ce projet sur un édifice trop âgé et au diamètre sommital trop faible pour recevoir les maçonneries exhaussées et la nouvelle lanterne. La Commission des Phares se rangea à cet avis et entérina la décision de l'ingénieur pour préconiser une construction neuve.

 

Les plans et devis de la troisième tour, présentés en 1890, furent approuvés le 25 mai 1892 et les travaux pouvaient dès lors commencer. On se préparait à lancer l'appel d'offres lorsque le Service des Phares notifia aux ingénieurs du Finistère que par "suite de circonstances spéciales, au courant desquelles vous serez mis ultérieurement, il est probable que nous aurons à reporter le phare de Penmarc'h plus à l'Est".

 

Deux mois auparavant, le 7 octobre 1892, en effet, mourait en son hôtel parisien madame Adélaïde-Louise Davout, marquise de Blocqueville. Son testament stipulait : "Je nomme M. Le Myre de Vilers, ancien gouverneur de la Cochinchine, mon exécuteur testamentaire en tout ce qui concerne le phare d'Eckmühl. Ma première et ma plus chère volonté est qu'il soit élevé un phare sur un point dangereux des côtes de France, non miné par la mer. Mon vieil ami, le baron Baude, m'a souvent dit que bien des anses des côtes bretonnes restaient obscures et dangereuses. J'aimerais que le phare d'Eckmühl fût élevé là ; mais sur quelque terrain solide, granitique, car je veux que ce noble nom demeure longtemps béni. Les larmes versées par la fatalité des guerres que je redoute et déteste plus que jamais, seront ainsi rachetées par les vies sauvées de la tempête... Je consacre à cette fondation une somme de 300 000 francs, voulant ce phare digne du nom qu'il portera... Sur une plaque de marbre incrustée dans une muraille on inscrira les paroles suivantes : ce phare a été élevé à la mémoire du maréchal Prince d'Eckmühl par la piété filiale de Napoléon-Louis Davout, Duc d'Auerstaedt, Prince d'Eckmühl, son fils unique mort sans enfant et par sa fille Adélaïde-Louise d'Eckmühl, marquise de Blocqueville, également morte sans enfant".

 

Saisi de l'offre alléchante que constituait le legs, le ministre des Travaux Publics constitua une commission chargée d'étudier les mesures à prendre pour l'accepter ou non et, dans l'affirmative, décider de son meilleur emploi. Les membres réunis jugèrent l'offre intéressante et se fixèrent sur deux sites : l'île Vierge et Penmarc'h ; ce dernier remporta la majorité des suffrages. La convention d'accord fut signée entre les deux parties le 22 décembre 1892, rendant caducs les travaux préparatoires de l'ingénieur Havé. Un décret ministériel en date du 16 mars 1893 légalisait les accords qui prévoyaient le remplacement de la vieille tour par une nouvelle qui prendrait officiellement le nom de phare d'Eckmühl. Les plans de l'édifice furent dressés par les ingénieurs du Service central, Bourdelles et Ribière, sous la direction du Directeur Bernard. Pour la première fois dans l'histoire moderne des phares, ils s'adjoignirent les services d'un architecte parisien diplômé, Paul Marbeau, surtout pour répondre aux dispositions particulières du testament car son concours se releva plus que modeste.

 

Les plans du phare d'Eckmühl sont approuvés le 25 mai 1892. Les travaux débutèrent en septembre 1893. Pour réaliser les voeux de la testatrice, la tour du phare fut entièrement exécutée en pierres de Kersanton, la plus belle et la plus chère aussi, et l'on n'utilisa pour les "parements vus que des matériaux de choix inaltérables à l'air salin de l'océan. L'architecture a été étudiée de façon à donner à l'édifice à la fois des dispositions propres à sa destination et le caractère monumental que justifiaient les circonstances". "Avec ses proportions grandioses, avec son outillage perfectionné, le phare d'Eckmühl prendra sans conteste le premier rang parmi les ouvrages de cette sorte. Ce sera l'une des merveilles du génie moderne qui depuis longtemps a laissé loin derrière lui les sept merveilles du monde tant prônées par l'antiquité".

 

Si les ingénieurs présentèrent après coup ce chantier comme exemplaire, il souffrit en fait de nombreuses anomalies tout au long de l'exécution. Les livraisons de pierres en provenance de la rade de Brest s'effectuèrent difficilement et leur prix augmenta ; les équipes de maçons et de poseurs se révélèrent insuffisantes dans bien des situations ; les plaques d'opaline pour le revêtement intérieur présentaient parfois des qualités douteuses et l'entrepreneur dut s'en procurer plus que prévu... Toujours est-il que l'inauguration, prévue en septembre 1895, fut reportée au 17 octobre 1897, date aussi de sa mise en service et c'est ainsi que grâce au legs d'une vieille baronne parisienne "un phare des côtes bretonnes porte le nom, bien que mal orthographié, d'un village du fin fond de la Basse-Bavière".

 

Le phare est construit pour fonctionner à l'énergie électrique et la puissance lumineuse ainsi dégagée sera deux fois supérieure au premier phare électrique de la Hève. Sa portée était de 50 milles. Le phare était entretenu par un maître de phare et cinq gardiens.