L’écroulement du phare de La Coubre

Article paru dans l'Illustration, numéro 3353 du samedi 1er juin 1907

 

Un phare vient de s'écrouler, dans la nuit du 20 au 21 mai, à l'embouchure de la Gironde. Mais ce phare était depuis longtemps condamné, hors de service, découronné même de son appareil optique, simple tour inutile, menaçante même, à un point de vue, et dangereuse aux promeneurs qui se seraient aventurés à son pied au mauvais moment. On la devait faire sauter, pour éviter quelque accident, le jour suivant. Elle n'a pas attendu l'échéance.

 

Un détail assez curieux nous est apporté, à ce sujet, par les journaux bordelais : le lundi 20 mai, dans l'après-midi, quelques heures seulement, par conséquent, avant sa chute, quelques promeneurs, en excursion à la pointe de la Coubre, avaient fait l'ascension de cette tour suspendue sur ses pilotis minés comme un invalide sur ses béquilles. Ne l'ont-ils pas échappé belle ?

 

L'ancien phare de la Coubre, qui remplaça, comme phare d'atterrage, la célèbre et vieille tour de Cordouan, avait été construit en 1895 sur un point de la côte qui n'était signalé, jusque-là, que par un feu établi sur un échafaudage de charpente. A cet appareil primitif, on substituait ainsi un phare ultra-moderne, à éclats, dont le foyer électrique, élevé à 60 mètres au-dessus du niveau des hautes mers, avait une puissance lumineuse de 50 millions de bougies, avec une portée de 56 miles (104 kilomètres) et qui était alors un des plus beaux de France. 

 

Mais la côte sur laquelle il s'élevait est l'une des plus changeantes de notre littoral. Au moment où l'on décidait la construction du phare de la Coubre, cette côte semblait se fixer, et même gagner sur la mer, où un banc s'était formé. Le nouvel appareil était à peine en service qu'on s'apercevait que ce n'était là qu'une illusion. Bientôt la mer s'avança de nouveau à l'assaut du rivage et recommença de le ronger. 

 

De vagues travaux furent commencés pour essayer de protéger la côte, des tentatives de défense vite abandonnées. Les ingénieurs ne s'entêtèrent pas, sentant l'inutilité de tout effort ayant pour but d'arrêter le travail du flot et de sauver le phare. En 1903, une autre tour fut mise en chantier à 1600 mètres en arrière de la première, à 300 mètres du sémaphore de Bonne-Anse. Construite en ciment armé, elle fut rapidement achevée. En 1905, elle était en service. Il était temps : la mer déjà gagnait le pied même de l'ancien phare, qu'on découronna rapidement de son appareil éclairant, tout ce qu'on en pouvait utiliser, et qu'on abandonna au sort inévitable.

 

L'océan, d'ailleurs, continue sur cette côte ses ravages, et c'est à grands frais que les viticulteurs du vignoble fameux qui avoisine la côte le protègent contre les assauts des lames. Rapidement, dans les endroits où rien ne s'oppose à son action, le flot ronge et emporte la dune. Il faut espérer que sa fureur n'ira pas jusqu'à menacer le phare neuf, le remplaçant de la tour écroulée l'autre semaine.